La hakétia ou judéo-espagnol d'Occident

Hakétia est le nom du dialecte du judéo-espagnol que parlent – hélas, que parlaient serait plus approprié… - les juifs hispanophones du nord du Maroc.

La hakétia ou judéo-espagnol d'Occident

La hakétia par Abraham Bengio

Hakétia est le nom du dialecte du judéo-espagnol que parlent – hélas, que parlaient serait plus approprié… - les juifs hispanophones du nord du Maroc. Si l’étymologie de ce mot demeure mystérieuse[1], l’origine de la langue est parfaitement claire : l’espagnol ancien mâtiné d’hébreu et coloré d’arabe que parlaient les expulsés d’Espagne n’a évidemment pas connu l’évolution, notamment phonétique, de l’espagnol contemporain, ce qui lui confère certains traits archaïques ; et il a acquis en outre au fil des siècles des caractéristiques particulières, selon qu’il empruntait au turc et dans une moindre mesure au grec, au bulgare etc., dans l’ex-empire ottoman jusqu’à donner le judezmo ou judéo-espagnol oriental, ou qu’il empruntait à l’arabe dialectal marocain, voire au berbère, au nord du Maroc, jusqu’à former la haketia ou judéo-espagnol occidental.

La hakétia n’a pas connu l’expansion du judezmo, pour diverses raisons : un nombre de locuteurs très inférieur ; une proximité géographique avec l’Espagne qui a conduit les « hakétiophones » à privilégier, pour les écrits les plus sérieux ou officiels, l’espagnol péninsulaire contemporain, créant ainsi une situation de diglossie[2] ; enfin une « réhispanisation » de la hakétia à la suite de l’occupation de Tétouan par les Espagnols en 1860, puis de la création du Protectorat espagnol sur tout le nord du Maroc (sauf la « zone internationale » de Tanger).

Aujourd’hui, malgré la détermination d’un certain nombre de collectifs d’universitaires ou d’amoureux de nos traditions qui travaillent à la connaissance et au sauvetage de cette langue trop longtemps reléguée dans l’ombre par leurs propres locuteurs, il faut admettre qu’elle est en danger de mort. Des dictionnaires et des grammaires permettent de l’étudier, partout linguistes et ethnomusicologues s’efforcent de recueillir textes, chansons, proverbes et récits[3], un groupe d’experts a même rédigé des préconisations pour rationaliser la graphie de cette langue…. Il n’en reste pas moins que, chez la plupart des descendants des juifs hispanophones du nord du Maroc, la hakétia ne subsiste plus que sous forme de citations, de savoureux clins d’œil, tels que malédictions ou bénédictions. ¡Que manzía[4] !

[1] Certains penchent pour le verbe arabe haka, « tchatcher » ; d’autres pensent que le mot dérive de Haquito, forme familière d’Itshaquito, diminutif d’Isaac. Donc, « la langue des tchatcheurs » ou « la langue des Haquitos » !

[2]  « En sociolinguistique, la diglossie est l'état dans lequel se trouvent deux variétés linguistiques coexistant sur un territoire donné et ayant, pour des motifs historiques et politiques, des statuts et des fonctions sociales distinctes, l'une étant représentée comme supérieure et l’autre inférieure au sein de la population » (Wikipedia)

[3] À notre connaissance, un seul écrivain véritable s’est exprimé en hakétia : Solly Lévy, originaire de Tanger. Mais par un cruel paradoxe, presque toute son œuvre hakétiesque a été rédigée au Canada, après son départ du Maroc !

[4]  « Quel dommage ! » (en hakétia)

Pour aller plus loin

 Le site voces de hakétia

http://www.vocesdehaketia.com/haketia.html

 La Vida en hakétia, para que no se pierda, de Solly Lévy :

http://www.proyectos.cchs.csic.es/sefardiweb/node/3426

Le témoignage d'Alicia Sisso Raz

Solly Lévy : Sollyloquios Insolitos a Buenos Aires