Le judéo-espagnol d'Orient ou djidyo

Le judéo-espagnol, langue rare aux forts enjeux culturels et symboliques

Le judéo-espagnol d'Orient ou djidyo

Importance culturelle et symbolique

Le judéo-espagnol d'Orient (aussi nommé ladino) est une langue dont la portée culturelle et symbolique dépasse largement le nombre actuel de locuteurs : à l’intérieur du judaïsme (en raison du prestige du judaïsme médiéval d’Espagne et du poids symbolique de l’extermination des communautés judéo-espagnoles d’Europe lors de la shoah) comme à l’extérieur (en raison de ses aspects conservatoires de la culture espagnole, de son dynamisme dans l’ex-Empire ottoman et, enfin, de son exceptionnel patrimoine chanté mondialement reconnu).

Histoire et périmètre

Dans l’Empire ottoman le judéo-espagnol, langue des Juifs expulsés d’Espagne en 1492, s’est imposé dès le XVIIe siècle comme langue de l’ensemble des communautés juives de l’ex-Yougoslavie à l’Albanie, la Bulgarie, au Caire et à Jérusalem en passant par la Grèce et la Turquie. Le judéo-espagnol était aussi parlé à Bucarest et le plus grand centre d’édition en judéo-espagnol était Vienne à la fin du XIXe. Salonique était massivement judéo-hispanophone avant que sa communauté juive soit anéantie lors de la shoah. En raison de leur connaissance du français, langue d’enseignement des écoles juives de l’AIU dans l’ex-Empire ottoman et au Maroc, beaucoup de Judéo-Espagnols ont émigré en France à partir de la fin du XIXe siècle. Langue aujourd’hui menacée, le judéo-espagnol est encore parlé et écrit en Turquie ainsi qu’en Israël et dans la diaspora (Paris, Lyon, Marseille, Bruxelles, Athènes, Sofia, Montréal, Atlanta city, Miami, Mexico, Buenos Aires…, pour les principales communautés qui conservent des clubs, des associations ou des publications). La haketiya est une autre variété de judéo-espagnol, originaire du Maroc, dont l’origine, la base linguistique et le patrimoine littéraire et culturel sont en partie commun avec le judéo-espagnol de l’ex-Empire ottoman.

Enjeux actuels

Malgré une disparition annoncée comme inéluctable, le judéo-espagnol se maintient comme langue de culture et connaît un regain d'intérêt parmi les quelques 300 000 descendants de judéo-espagnols disséminés à travers le monde dont certains poursuivent assidûment la recherche de leurs origines. Grâce à Haïm Vidal-Séphiha et à Marie-Christine Varol, il bénéficie d'un enseignement universitaire de haut niveau en France. Des dictionnaires sont publiés tel le remarquable dictionnaire du judéo-espagnol salonicien composé par Joseph Néhama et édité par La Lettre Sépharade de Jean Carasso. Un cercle de discussion en judéo-espagnol sur internet ladinokomunita fondé en 2000 par Rachel Amado Bortnick aux États-Unis, connaît un succès non démenti par le temps. En Espagne, un intérêt ancien et soutenu continue de se manifester pour cette langue dont les tournures et les formes sont celles du Siècle d'Or espagnol.

L'avenir du judéo-espagnol dépend un peu de chacun d'entre nous, du temps que nous y consacrons, des rencontres qu'il peut encore nous apporter, de notre envie... Dans un monde de plus en plus standardisé, normalisé, mondialisé nous avons toujours besoin de faire entendre une note originale. A nous de prouver que le judéo-espagnol est encore bien vivant !

El Djudyo d'Estanbol bivo bivo !

Le judéo-espagnol d'Istanbul bien vivant en version originale sous-titrée

Durant plusieurs années, la linguiste Ioana Aminian a recueilli les témoignages de Judéo-espagnols d'Istanbul qu'elle a soigneusement traduits, édités et mis en ligne. Ils portent sur de nombreux thèmes : coutumes et traditions, éducation, conscience linguistique, histoire orale, vie publique, migrations, théâtre. Ce projet entrepris à l'occasion de sa thèse de doctorat s'inscrit au sein d'un vaste programme de l'Académie des Sciences à Vienne. Si d'autres cultures balkaniques y trouvent leur place, le judéo-espagnol avec une cinquantaine d'entretiens filmés en constitue à ce jour la pièce maîtresse. On trouvera ci-dessous le lien vers une sélection de douze entretiens et le site où découvrir l'ensemble du projet. Une occasion exceptionnelle d'approfondir notre connaissance du judéo-espagnol et de découvrir une langue encore bien vivante.

Un chaketon osmanli - une gifle à l'ottomane !
Jojo Eskenazi nous conte ses souvenirs de la plage à Floria (Istanbul)
Sara Cohen Yanarocak - La tant Suzan era komo una mar (Los kantes de Suzan)
Soli Avigdor - Kualo va a kedar de mi ? El teatro ! Que restera-t-il de moi ? Le théâtre.
Lizet Papo - Yo a esta la vo tomar ! Coup de foudre judéo-espagnol !
Viki Diler - El ladino m'apartiene ! Le judéo-espagnol m'appartient !
Jojo Bedelahmi - Se undio el mundo aki (l'expulsion des Grecs d'Istanbul)
Yusuf Altıntaş - Mi patria ande bivo, es la lingua ke bivo. Ma patrie est la langue dans laquelle je vis.
Korin Kalo - Esta muchachika tuvo un amorado, s'echo i s'alevanto i kedo prenyada... (kantes)
Suzan Levi - Kuando nasites el Dyo ya mos eskrivyo aki kuando mos va tomar. Una famiya de Balat.
Zelda Natan - La vida oroza de Isak Eskenazi de Mustapasha kon dos mujeres !
Soli Avigdor - Iné los Turkos s'ambezaron el djudeo-espanyol
Solomon Namer - Esto lo vide kon mis ojos ! Je l'ai vu de mes yeux vu.
Sara Galimidi - Era una kaza de tavla... Una famiya de Hasköy.
Por esto kedo un espanto. En vérite nous avions peur.
Haim Nesim Kohen : comment j'ai fui la Turquie
Haim Nesim Kohen : j'ai perdu ma jeunesse dans l'armée