Pocu favlar, muchu intender

Histoire contée par David Nisan, natif de Monastir (aujourd’hui Bitola, Macédoine) où il tenait un commerce. Il était âgé de 64 ans à l’été 1927 lors de l’entretien avec Max Luria. Ses deux parents étaient également natifs de Monastir.

In Max A. Luria, “A study of the Monastir dialect of Judeo-Spanish based on oral material collected in Monastir, Yugo-Slavia.” Instituto de las Españas en los Estados Unidos. New York. 1929.

Pocu favlar, muchu intender
Dans les rues de Monastir. Marchands ambulants. Mars 1917. Source: mission militaire française - Armée d'Orient.

Pocu favlar, muchu intender
version originale en judéo-espagnol

Al tiempu avie un ombri. Avrio une butique y mitio un tablu diziendu : « Vendu mioyu. Todu il qui queri qui venge, qui merqui. »

Paso il rey tevdil[1]. Miro al tablu y vidu lu cue iscrivi. S’intro adjentru.

− Que vendis ? li dishu.

− Mioyu vendu.

− Comu vendis, cun oque o mizure ?

− Yo vendu cuturu[2], sin mizure.

− Pur cantu vendis ? Que es la page ?

− Pur sien lires, si un ombri queri.

− Mas pocu no li das ?

− No li do. Sien lires, mancu no.

Li vinu caru al rey sien lires. Si fue maz ai, pinsandu, y turno torne. Il rey li dishu :

− Maz baratu no puedi ser ?

− Mancu di sien lires no puedi ser.

− Dizimi lu cue ez il mioyu qui me vaz a vinder ? Ti vo a dar sien lires.

− Fiadu no ai. Las paras imbashu y ti puedu dizir que ez il sehel.

Li dio las paras il rey. Il ombri si guardo las paras y dishu :

Dushun dayap. Pense y fazi.

− E ! Mas ! Dishu. 

− No ay mas.

Il rey quito il cuchiyu para matarlu. Dishu :

− Pur estez dos palavres mi queri tumar sien lires?

− Estu vendu.

Il rey si fue muchu raviozu. Si fue in caze. Mando yamar al arrapador. Vinu il arrapador. Lu ‘sta arrapandu al rey. Il rey imbilicadu in la ideye dil sehel qui merco, si ‘sta diziendu entri si : Dushun dayap.

Sintio il arrapador qu’il rey dishu : Dushun dayap. Quido d’arraparlu.

− Aman, no so yo, mi disherun.

Il rey sintiendu estu...

− Prestu, dizime la virdad !

− Une cumpanye, cuntrarius di ti, ti queri matar. M’aprumitierun purque ti mati. Si no ti matu, mi maten a mi. Y cun estu yo mi tupi apritadu y ti tumi para arraparti cun ideye di ti matar. Ma queru saver quen ya ti mishirico[3].

− Dizimi quen son lus qui mi querin matar.

− Trez di eyus dil riinadu.

Il rey luz yamo an aqueyus y luz mato. Yamo an aquel qui li vindio il mioyu. Li dishu :

− Tu m’inganyatis. Tu mi tumatis muches paras pur il sehel qui mi vinditis. Asente tu a mi ladu qui seyes sigundu al rey purque m’avansatis la vide.

Pocu favlar, muchu intender.

[1] Du turc tebdil : déguisé, changé.

[2] Du turc kuturu : à forfait, par lot entier.

[3] Du portugais mesherikear : cancaner, calomnier, médire.

Parler peu, comprendre beaucoup
version en français

Il était autrefois un homme qui tenait une boutique. Un jour, il mit une pancarte où il était écrit : « On vend de la cervelle. Que tous ceux qui en veulent, viennent et l’achètent. »

Le roi se promenait déguisé. Il vit la pancarte et ce qui y était écrit. Il entra.

− Qu’est-ce que tu vends ? dit-il au marchand.

− Je vends de la cervelle.

− Comment est-ce que tu la vends ? Au poids ou en tranches ?

− Je vends à la pièce, sans trancher.

− À combien tu vends ? Quel est le prix ?

− À celui qui en veut, je la vends à cent livres.

− Tu ne la laisses pas à moins ?

− À moins, non. Cent livres, sinon rien.

− Dis-moi donc ce que c’est la cervelle que tu vas me vendre ? Je te donnerai cent livres.

− À crédit pas question. Aboule l’argent et ensuite je pourrais te dire ce que c’est l’intelligence.

Le roi lui donna l’argent. L’homme le garda et dit :

Dushun dayap. Réfléchis avant d’agir.

− Hein ? C’est tout ? Continue !

− Rien d’autre.

Le roi sortit un couteau pour le tuer. Il dit :

− C’est pour ces deux mots que tu m’as pris cent livres ?

− Marché conclu.

Le roi partit furieux. Il rentra chez lui, appela le barbier. Celui-ci vint et commença à le raser. Le roi obsédé à l’idée de la cervelle qu’il avait acheté, disait entre ses dents : Dushun dayap.

Le barbier entendit le roi dire : Dushun dayap. Il stoppa net le rasage.

− Sur ma vie, ce n’est pas moi, ce sont eux qui m'ont poussé.

Le roi en entendant cela…

− Allez vite, dis-moi la vérité !

− Un parti d’opposants a juré ta mort. Ils m’ont forcé à te tuer. Si je ne te tuais pas, c’est moi qui y passais. Et c’est ainsi que je me suis trouvé forcé de te raser avec l’idée de te tuer. Mais je voudrais savoir qui t’a renseigné.

− Dis-moi plutôt qui sont ceux qui veulent me tuer.

− Trois hommes du royaume.

Le roi les fit appeler et les tua. Il fit venir celui qui lui avait vendu la cervelle et lui dit :

− Toi tu m’as bien eu. Tu m’as pris beaucoup d’argent pour l’intelligence que tu m’as vendue. Assieds-toi à mes côtés et tu seras mon bras droit puisque tu m’as sauvé la vie.

Parler peu, comprendre beaucoup.